Commande de création de la ville de Tournon-sur-Rhône à l’occasion de la restauration de la Vierge de la Tour
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Au filigrane bleu de l’âme se greffant.
Stéphane Mallarmé
Quand le faisceau lumineux tombe sur des houppes soyeuses, les divers rayons subissent
une inflexion désordonnée en s’écartant de leur route directe.
«Diffraction » dans Littré
La vierge de Tournon est perchée sur sa tour au flanc des coteaux avec le fleuve en contrebas. Il faut gravir lentement le chemin des vignes pour s’approcher d’elle, la contourner et la sentir dans son écrin naturel -terre, pierres, ciel, vignes.
En plein ciel, son équilibre fragile face au vide nous happe. Posée sur sa demi lune la vierge surplombe et veille la ville depuis 150 ans.
Quand on a grimpé l’échelle de la tour on se retrouve à ses pieds, en contre plongée. Sculpture imposante elle nous toise de toute sa hauteur sans échappatoire possible sinon la chute dans le vide. Vertige !
Elle regarde la ville… Mais que voit-elle ?
Les lourds plis de son dos de pierre nous renvoient au mystère de la vision.
J’interroge alors la vigie : avec différentes focales et points de vue, je capte les expressions du visage, les positions du corps, sa texture de pierre calcaire extraite des carrières de Saint-Paul et sa patine - celle du temps qui l’a vêtue, atteinte aussi dans ses traits mêmes.
En contre-jour, l’opacité du corps offre des diffractions à la lumière.
C’est à l’atelier, dans une résurgence des prises de vues, que je déploie sa complexité, mets en scène et en mouvement sa gestuelle, lui propose une danse.
Alors les plis et les grains de la pierre s’ouvrent, se creusent ; elle devient aigle prêt à s’envoler mais sa lourde couronne étoilée l’arrime de nouveau à son socle. Figure complexe, elle apparaît fragile, lourde, protectrice, inquiétante aussi : terrassant le serpent de son pied nu, elle se transforme en femme de l’apocalypse.
Son corps, poreux à la lumière, accueille et devient dans des transparences, le réceptacle du temps et des lieux.
Dans le château voisin, les prisonniers de la tour lui adressaient-ils des suppliques dans leurs graffitis, enviant sa liberté au grand air ; ou s’identifiaient-ils à elle prisonnière de son socle et de sa fonction ?
Dans ses nuits d’insomnie à Tournon/Idumée, Mallarmé sentait-il, sur les coteaux derrière lui, cette présence féminine en écrivant Hérodiade ?
Bernadette Tintaud 2012