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Art Press spécial photo – Octobre 1990

Christian Gattinoni
L’exigence d’une constante rétractation


La forme la plus fréquemment attendue serait celle d’un visage. Un œil s’ouvre sur la complicité d’un instant complice, rien que la peau et la sensation imagée du parfum qui s’en déflore. Ce retour fait loi : tout visage à un moment retrouvé est cité à comparaître, au moins comme témoin. C’est l’heure exacte de ce visage. Quand l’histoire de la représentation se met à faire loupe. Focus. La distance ne peut alors se calculer qu’en référence à une ligne biographique.
Bernadette Tintaud produit ainsi ses portraits et autoportraits dans l’exigence d’une constante rétractation. Du fait que l’on dit tirer le portrait, ce portrait toujours retirerait quelque chose au modèle. Sans faire vraiment référence aux croyances des tribus primitives qui craignaient qu’on vînt leur voler l’âme, ne met-on pas hors-circuit un peu de l’être-dans-le-temps du modèle. Le portraitiste aujourd’hui doit s’imaginer combien d’images involontaires de nous sont véhiculées par les circuits de contrôle de notre société de surveillance, auxquelles il convient d’ajouter nos passages dans le champ de ces multiples prises amateurs sur le terrain urbain.
Tintaud se tient toujours dans une position de retrait, parce qu’elle sait que ce qui d’abord s’avance reste trop souvent de l’ordre de l’évidence, la fulgurance de la saisie se voit démultipliée en une suite d’opérations purement photographiques qui, au-delà de toute possible ressemblance, cernerait ce que le psychanalyste Claude Dumézil évoque comme « le trait du cas ». Photographier n’apparaît plus alors comme un acte d’imposition mais comme une rétract-action qui opère des synthèses soustractives à partir du stock d’images-dans-le-temps.
Opérant à partir de la combinaison du jeu des trames et des réserves, du décalage entre la visée et le dessin mémorisé, un tel stock d’images se trouve condensé en une photographie unique, ou en un triptyque qui n’a pas vocation de faire sens, comme les coupes successives fournies par le scanner ou la résonance magnétique nucléaire. Nous assistons seulement à de minuscules déplacements de ce que Deleuze, à propos de Keichii Tahara, appelait la « visagéité ». La minutie de ces interventions restitue du désir au temps du visage.