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Christian GATTINONI Fluide, une géologie des passions, 2012

Préface du livre édité par le Château-Musée de la ville de Tournon-sur-Rhône à l’occasion de l’exposition Post-scriptum

Déjà le visage se détachait du visage, se projetait à la rencontre du corps, et le corps lui-même se jouait, femme,  dans l’écho de Salomé, en une vibrante séparation.
Si duelle que soit la nature photographique de toute image, ce qui se diffracte à la surface de ces tirages, d’abord noir et gris sur la scène ample du blanc, se rejoue duo : entre soi et moi, entre toi seul et soie de la peau dont il a fallu, au moment trop intense du partir, faire deuil argentique. L’image redonne une telle distance intime qui autorise la tension, soit caresse soit regard. L’artiste assume à dessein le rôle ingrat de celle qui échappe, souvenez vous de ses tendres cadrages qui effleurent, rigoureux, un profil, une face, ils en frôlent , les surlignant, les traits familiers qui jamais ne se dérivent masque ou grimace.

L’allegro des corps s’est joué semblable dans le tremblement failli des muscles, dans les tensions sous-cutanées où vibrent les tendons, dans l’harmonie d’une énergie qui ne se prête habituellement que sur la scène de la danse. Comment accepter ensuite cette distance, ce retrait, comment les  rendre complices d ‘un partage ? Toutes les solutions issues du choc des corps devaient trouver échappatoire dès lors que l’absente, oui dès l’absence, lui donner lieux.

L’artiste avoue sa méthode par  « feuilletage et hybridation », « cette surface qu’elle ne cesse de déplier » s’ouvre alors sur une suite de paysages internes que je ne peux approcher que très méditerranéens, mon propre fantasme d’origine croise alors les sources révélées de la biographie récente de la photographe : Bernadette Tintaud vit et exerce regards dans la campagne  aux alentours de Valence, elle travaille la colorature des carrières, ses cadrages connaissent les partitions de Giacomelli sans en concéder la rudesse. Elle les creuse, en version  numérique concertante, selon ses propres harmonies colorées, chaque plan prend ainsi la souplesse d’une peau. Dans cette quête descente le cuir de chaque pierre se retend dans les nuances de teintes légèrement passées à la violence intérieure d’un soleil  malgré tout très haut, dans le ciel de tes yeux. Oui il reste temps pour cette dédicace de toujours, dont l’artiste ne prendra ombrage, quand je lui aurai redit mon histoire d’Eurydice.

Bien évidemment parce que femme elle a d’abord reconnu sa préférence de pierres qui lui profilaient  un Orphée, carrier de profession. Le temps encore a ici fait retour de cette époque  où amantes comme épouses se trouvèrent veuves orphelines de cette première guerre  qui laissa déserte la carrière, et comme ouverte la blessure des entrailles de la terre.

Imaginez la vraie belle Eurydice à l’orée de cette carrière, j’y entend , bouleversé par notre proximité d’écoute, Nathalie Stutzmann rejouer avec Orpheo 55 cette descente scandé par Vivaldi. Tournant le dos au jour, sur cette prise unique, c’est elle, la nymphe, qui, de fait, chercha le disparu aux profondeurs de l’eau, jamais elle ne se retourna, elle guette la béance infinie de la carrière. Les traits tirés comme une si belle morte, je l’ai pourtant reconnue mon évidence. Le pacte du regard elle l’accepta en gage, comme main tendue pour la tirer hors du gouffre. Les rôles se rétablissaient dans le déséquilibre du mythe. L’artiste pouvait revenir sur les lieux de la séparation tirer le portrait d’Orphée. Si son profil à ce moment paraît scarifié  de mots graffités et tus, c’est qu’il est l’homme de l’écriture, moins  musicien que poète de sa beauté fragile et de la douleur de sa perte vive.

En PS Bernadette Tintaud hommage ses figures tutélaires, fugaces, l’homme frontière perdu au fil de l’eau, les passants et autres aventuriers des seuils, les explorateurs « ici là bas » des sanctuaires pour cérémonies profanes, les passeurs d’amoureux messages palimpsestes. Elle déchiffre temps et temps et physionomie du sentiment dans la fluidité d’une image tactile qui incarne nos secrètes passions toujours vives.