Jean-Marc BESSE Le tremblement des terres, 2002

Extrait de la préface
Catalogue Arbres Horizons 2004
Coédition artothèque de La Roche sur Yon, Centre des Bords de Marne, Centre d’art contemporain Passage à Troyes , Centre d’art contemporain d’Istres



Allons au plus vif. Ces paysages photographiés témoignent et attestent, d’abord, de la surface du monde terrestre. Géo-graphie : une écriture, dit-on, à même le sol. La terre est écrite, griffée, labourée, cultivée. Le paysage dépose les marques du travail humain. Mais on ne voit ici que les empreintes, et non leurs auteurs : le paysage est une surface qui porte et qui accueille, mais aussi qui conserve la trace d’un passage disparu, comme un précieux secret qui traverse les temps, mémoire.
Plus encore, nous sommes là à rebours : l’empreinte sur le sol n’est pas seulement l’aboutissement d’un travail de marquage, il faut la voir aussi comme le     signal d’une autre histoire ; Se demande-t-on en effet ce qu’il advient de la matière une fois qu’elle a été marquée et transformée, et que l’objet est apparu ? S’intéresse-t-on à l’histoire de la matière qui porte les formes et se retire derrière les objets ? S’intéresse-t-on à ce qui reste indéterminé, vague et vivant pourtant ? Rarement.
C’est à la surface de la terre qu’il faudrait pourtant arrêter les regards. Nulle profondeur à méditer, nulle réalité voilée vers laquelle il faudrait se porter, mais plutôt : aimer le monde dans son étendue déployée, saisir l’épaisseur de cette surface, suivre les aspérités et les lignes de cette couche de paysage jetée comme un vêtement sur le sol, et  peser, de l’œil, la puissance qui librement affleure. Ces coteaux de vignoble sont comme un velours, qui épouse les contours d’un corps  et laisse apercevoir, en une sorte de déchirure, sa nudité. Les labours sont un tissu strié qui enveloppe les sols. Le paysage, au fond, tient tout entier dans une couche de peau.
Mais la peau tremble, moutonne, et il y a dans ce tissu de sol comme une longue vague qui traverse et l’anime, qui tend les surfaces et les replie, les troue et les chiffonne aussi, la vie. Le paysage souvent bascule, comme emporté par un élan qui le pousse vers l’avant et en travers. Sous ces apparences figées, dans les choses mêmes, un temps est présent, une germination et une inquiétude, qui brouillent les limites et parfois explosent sourdement. On connaît des peaux que le désir et l’imminence de la main font d’avance trembler, et l’on a vu des corps, qu’une vague venue de l’intérieur agite, exulter doucement.
Saturations de lumières, éblouissements de blancs, noces élémentaires et dispersées du ciel et de la terre. Il est difficile de ne pas bouger dans un tel monde, il est difficile de ne pas se sentir courir déjà, plonger vers ces horizons de ciel incertains et nécessaires, vers ces lointains discrètement ouverts et déposés, vers ces blancs…  




Bernard POINT  Vertical et horizon, août 2003
Extrait de la préface

La série des paysages me fait participer à une remontée de l’horizon, antérieurement contenu aux pieds des arbres solitaires. Le voyage se fait alors panoramique par un survol de grandes plaines ou de sensuels vallonnements. L’ingénieur Tintaud est toujours là mais devient agronome en construisant une nature géométrisée. Les arbres aussi sont toujours là, comme de petits vaisseaux flottant à la surface de larges marées montantes contenues dans les limites territoriales dessinées par l’homme. Cette montée de l’horizon entraîne à l’intérieur de l’image verticale, comme un remplissage de terres fertiles travaillées par les labourages, fauchages et remembrements autoritaires. L’artiste me paraît témoigner de tout cela sans pour autant le revendiquer. Elle sait aussi graver les blessures venteuses ou orageuses : un paysage grêlé peut basculer comme sous « l’effet braille » d’une manipulation brutale ou d’un toucher aveugle et dévastateur. Si elle survole ces panoramas, c’est paradoxalement encore pour les dresser muralement en trouant de lumières floconneuses les masses sombres des bosquets, afin de ramener les lointains au premier plan.
Dans cet ensemble d’arbres solitaire, découpés sur le blanc d’un ciel de papier photographique et de paysages maçonnés, debout dans leur évidence murale, je promène mon regard au centre de l’image-fenètre à l’horizon de paysages étonnamment larges et à la fois singulièrement intériorisés.