Christian Gattinoni, 1988

Elle est sujette au regard


Elle vient dans le désordre transparent des voiles du gris.
Elle prend la lumière à témoins, la porte au crédit simulé des échanges de ses mouvements, dans des temps d’une grande saturation.
Dans d’autres épisodes elle se résoud à la danse, elle en invente les figures dont elle double le pas, elle projette les limites physiques du corps aux limites corporelles de la lumière.

Elle vient dans le désordre de celle qui a trouvé son bien, il n’y a plus de coupure entre soi et soi, elle survient, entre ça et soie, la clôture s’abolit qui délimitait les états du corps, ils s’égalisent à un degré supérieur de fission, d’autres barrières perdent leur pouvoir puisqu’elles s’interpénètrent : le fluide - le flou – le toucher - le virevoltant et le vide qui se tend de temps, d’attente saturée, de plein et de comblé.

Elle survient dans l’ordre sien.
Les échanges d’émulsion en émulsion parcourent tous les stades ultimes de fusion de la chair, tout lutte contre la fixation, le figement, l’idée fixe, ça vient, il faut fuir dans d’autres consciences des passages charnels, et ce n’est pas fuite mais fierté de femme, une pudeur d’image juste avant la séduction.

Elle vient dans le désordre apparent de sa vêture, elle porte sur elle les parements, elle donne le rythme par le mouvement de ses yeux, elle se donne au change des lumières, la lueur de son regard se masque : elle dissimule ses pupilles qui se dilatent, comme s’ouvrent plus large ses narines, sa face s’éclaire par le mouvement de la bouche du moins tu l’imagines puisqu’elle tait son visage dans le flou tremblement qu’elle arrête sur un soudain cri jeté du corps.

Son corps vient dans le désordre mimé de Salomé, mais c’est d’elle fracassée l’image en abîme de l’autre d’elle-même, dont elle revient victime et jouet de son consentement, les miroirs aussi s’effacent en se voilant, elle se donne à son image cassée.
Là s’échangent les plus fieffés mystères : rien moins que la transmutation des corps.
Ce qui tourne, ce qui circule, ces trajets du partage, cette transaction imaginaire du satisfecit, tout vient : les liqueurs s’intensifient au contact interne du révélateur, les lymphes s’imprègnent de photons, la lueur se fait liquide : dans l’eau du regard l’autre de l’image s’imagine.

Christian Gattinoni
Publié avec la série Salomé dans la revue Vis-à-vis international n°2 - 1988